A la mort de son fils, Doris Lussier écrivait ceci:
Un être humain qui s'éteint,
ce n'est pas un mortel qui finit,
c'est un immortel qui commence.
C'est pourquoi, en allant confier
le corps de mon fils à la terre accueillante
où il dormira doucement à côté des siens,
en attendant que j'aille l'y rejoindre,
je ne lui dis pas adieu, je lui dis à bientôt.
Car la douleur qui me serre le coeur raffermit,
à chacun de ses battements, ma certitude
qu'il est impossible d'autant aimer un être
et de le perdre pour toujours.
Ceux que nous avons aimés
et que nous avons perdus
ne sont plus où ils étaient,
mais ils sont toujours et partout où nous sommes.
Cela s'appelle d'un beau mot
plein de poésie et de tendresse:
le souvenir.
Doris Lussier
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Les enfants
Texte de Doris Lussier
Rien n'est grand comme les petits.
C'est tellement vrai qu'un penseur a pu dire que, de tous les êtres
vivants, l'enfant est le seul qui exige qu'on se mette à genoux pour
s'élever à sa hauteur.
Chaque fois qu'un enfant naît, c'est le monde qui recommence.
Nos enfants sont le sang de notre sève. Ils sont les recrues
continuelles du genre humain.
Parce qu'ils portent en eux la possibilité du meilleur, ils sont notre
espérance. Parce que leur innocence ressemble à celle que nous
avons perdue, ils sont notre pureté. Parce qu'ils sont la chair de
notre chair et l'âme de notre âme, ils sont notre amour.
Claudel disait : "Je n'ai jamais autant aimé les humains que depuis
que je suis le père de l'un d'eux." Parce qu'ils sont l'avenir et que
nous savons tous les pièges qui guettent leurs pas, ils sont notre
inquiétude.
Les enfants sont les princes de la vie. Ils sont le premier matin du
monde. Ils ne sont jamais blasés. Ils s'émerveillent de tout.
La vie pour eux, c'est une création et une récréation.
Les souvenirs d'enfance que je garde précieusement épinglés sur
le mur gris de ma mémoire sont les refuges où va s'abriter mon
âme quand elle fuit les orages de la vie... Ils sont mes arcs-en-ciel...
Ils sont mes clairs de lune...
Plus tard, devenu père à mon tour, je me rappelle avec une
purifiante nostalgie les instants privilégiés où, revenant de
mon travail, la nuit, j'allais toujours, avant de me coucher,
regarder dormir mes deux loupiots...
C'était ma prière du soir... Leur enfance m'a gardé enfant...
Leur jeunesse m'a gardé jeune... Et je me dis que ça n'existe
pas vieillir... ça n'existe pas mourir... quand on laisse derrière
soi la vie recommançante.
La Presse, 26 juin 1993
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Un dernier mot de Doris Lussier
Érudit, écrivain, humoriste québécois, homme engagé socialement, Doris Lussier
s'est surtout fait connaître au Québec par son personnage comique du
« Père Gédéon » à la télévision. Derrière son large sourire, se cachait un homme
de conviction, un esprit profond et en recherche. Derrière son large sourire, se
cachait un homme de conviction, un esprit profond et en recherche. Voici comment
il envisageait sa propre mort.
Berceau
Je n'ai qu'une toute petite foi naturelle, fragile, vacillante, bougonneuse
et toujours inquiète. Une foi qui ressemble bien plus à une espérance
qu'à une certitude. Mais voyez-vous, à la courte lumière de ma faible
raison, il m'apparaît irrationnel, absurde, injuste et contradictoire que la
vie humaine ne soit qu'un insignifiant passage de quelques centaines de
jours sur cette terre ingrate et somptueuse. Il me paraît répugner à la
raison de l'homme autant qu'à la providence de Dieu que l'existence ne
soit que temporelle et qu'un être humain n'ait pas plus de valeur et
d'autre destin qu'un caillou.
J'ai déjà vécu beaucoup plus que la moitié de ma vie; j e sais que je suis
sur l'autre versant des cimes et que j'ai plus de passé que d'avenir. Alors
j'ai sagement apprivoisé l'idée de ma mort. Je l'ai domestiquée et j'en ai
fait ma compagne si quotidienne qu'elle ne m'effraie plus…ou presque.
Au contraire, elle va jusqu'à m'inspirer des pensées de joie. On dirait que
la mort m'apprend à vivre. Si bien que j'en suis venu à penser que la vraie
mort, ce n'est pas mourir, c'est perdre sa raison de vivre. Et bientôt,
quand ce sera mon tour de monter derrière les étoiles, et de passer de
l'autre côté du mystère, je saurai alors quelle était ma raison de vivre.
Pas avant.
Mourir, c'est savoir, enfin. Sans l'espérance, non seulement la mort n'a
plus de sens, mais la vie non plus n'en a pas. Ce que je trouve beau dans
le destin humain, malgré son apparente cruauté, c'est que, pour moi,
mourir, ce n'est pas finir, c'est continuer autrement. Un être humain qui
s'éteint, ce n'est pas un mortel qui finit, c'est un immortel qui commence.
La tombe est un berceau. Mourir au monde, c'est naître à l'éternité. Car
la mort n'est que la porte noire qui s'ouvre sur la lumière. La mort ne
peut pas tuer ce qui ne meurt pas. Or notre âme est immortelle. Il n'y a
qu'une chose qui peut justifier la mort…. C'est l'immortalité.
Mourir, au fond, c'est peut-être aussi beau que de naître. Est-ce que le
soleil couchant n'est pas aussi beau que le soleil levant ? Un bateau qui
arrive à bon port, n'est-ce pas un événement heureux ? Et si naître n'est
qu'une façon douloureuse d'accéder au bonheur de la vie, pourquoi
mourir ne serait-il pas qu'une façon douloureuse de devenir heureux?
La plus jolie chose que j'ai lue sur la mort, c'est Victor Hugo qui l'a écrite.
C'est un admirable chant d'espérance en même temps qu'un poème
d'immortalité. « Je dis que le tombeau qui sur la mort se ferme, ouvre le
firmament, et que ce qu'ici bas nous prenons pour le terme est le commencement. »